Hassane Kassi Kouyaté
Fondé en 1984, le festival des Francophonies de Limoges est devenu une référence pour le théâtre de création. En 2019, le conteur, comédien et metteur en scène burkinabé Hassane Kassi Kouyaté a pris la direction de cette manifestation. Les Francophonies, des écritures à la scène - nouveau nom du festival - se déclinent désormais en deux événements : les Zébrures d’automne, consacrées aux arts de la scène, à la musique et à la danse, et les Zébrures de printemps, qui font découvrir les oeuvres créées à la Maison des auteurs. TEXTE DE PHILIPPE BAQUE

Les griots font partie d’une caste qui a un rôle essentiel dans les sociétés africaines. Le griot est un historien, tout en étant l’organisateur des cérémonies comme
les naissances, les baptêmes, les mariages et les funérailles. Il est souvent musicien, chanteur, comédien et danseur, et il fait la médiation dans la société. Il enseigne aussi par le biais des contes, par les proverbes et les devinettes. On est griot de père en fils. Mon père, Sotigui Kouyaté, était griot, mais il était aussi
comédien et a beaucoup joué avec le grand metteur en scène Peter Brook. J’ai abandonné mes études de commerce pour me consacrer au théâtre, aux contes
et à la danse qui symbolisaient pour moi la vraie vie. J’ai mis en scène une cinquantaine de spectacles, qui ont beaucoup tourné en Afrique et dans le reste du monde. J’ai aussi créé des événements culturels comme Yeelen, un festival de contes au Burkina Faso.
Quel était l’état d’esprt du festival lorsqu’il a été créé ? S'agissait-il de créer un pont entre le Nord et le Sud ? Est-ce toujours d’actualité ?
Pour moi, ce festival a été important et primordial, pour la France en particulier et l’Europe en général, parce qu’il a permis de faire entendre, de faire voir et de faire comprendre le monde différemment. En général, les créations théâtrales et les lieux qui les accueillent sont souvent des espaces cloisonnés. Ce festival a permis de décloisonner les esthétiques, les créations et les pensées. Il a aussi ouvert les esprits et les cœurs. Lors de sa création, c’était une période où la France s’ouvrait au reste du monde. L’Afrique commençait à prendre de l’importance sur le plan culturel, au niveau de la musique, avec un groupe comme Touré Kunda, et au niveau littéraire, avec des auteurs comme Sony Labou Tansi. Le festival a permis de faire connaître beaucoup d’auteurs, et il a vraiment cassé certains murs. Aujourd’hui, je pense que les deux festivals qui ont remplacé le festival des Francophonies ont aussi une importance irremplaçable. Notre mission est de continuer à préserver ce que les créateurs de ce festival ont posé comme base de fonctionnement dans un contexte qui a beaucoup changé et qui me semble plus compliqué qu’à l’époque.
Pourquoi avoir fait évoluer le festival des Francophonies en deux événements ?
Quand j’ai pris la direction du festival, j’ai trouvé une Maison des auteur(e)s qui fonctionnait très bien. Malheureusement, peu de pièces qui y étaient écrites étaient éditées. Et encore moins jouées. Pour le festival Zébrures de printemps, nous sommes partis du principe que nous devions faire découvrir les pièces créées
durant ces résidences d’écriture. Le but étant de partager des choses, des passions, des espoirs aussi. Tout le monde ne peut pas avoir accès à une création théâtrale, en raison des difficultés à mobiliser les moyens de production, surtout quand on vit à Goma en République démocratique du Congo (RDC) ou à Ouagadougou, au Burkina Faso. Quand on compare un auteur francophone de Kinshasa (RDC) à un auteur francophone du Luxembourg, on voit bien que les moyens sont différents. Je suis censé présenter tous les auteurs au même endroit. La première chose à faire était de donner à chacun la possibilité de faire entendre ce qu’il a écrit sans se poser la question des moyens de production d’une pièce de théâtre. Cela peut donner envie à des professionnels, metteurs en scène, comédiens ou comédiennes, de se servir de ces textes. Cela peut aussi toucher des acheteurs éventuels. Depuis que j’ai créé les Zébrures de printemps, nous avons en général entre douze et quatorze textes qui y sont présentés. Et nous avons en moyenne six auteur(e)s qui ont des appuis pour la suite et reçoivent un soutien pour aller vers la scène.
Pourquoi le zèbre est-il devenu le symbole de ces festivals ?
L’alternance des zébrures noires et blanches du zèbre est très symbolique. Nous sommes tous éclairés par l’autre. Le blanc éclaire le noir et le noir éclaire le blanc.
Et aucun zèbre n’est rayé de la même manière. C’est donc accepter la différence et la diversité. Et les zèbres sont libres. On n’a jamais vu de zèbres domestiqués.
Nous parlons des francophonies au pluriel, et nous tenons à ce pluriel. Dans un même pays, nous pouvons constater qu’il existe plusieurs francophonies. Au
Congo, la francophonie de Kinshasa n’est pas la même qu’à Goma. Au Canada, la francophonie du Québec n’est pas la même qu’au Nouveau-Brunswick. En Afrique, la francophonie wolof n’est pas la même que celle des Bambaras ou des Mossis. Il faut donc insister sur la pluralité des francophonies et sur les richesses qu’elle engendre. En montrant les œuvres des artistes de toutes ces parties du monde, nous contribuons à l’enrichissement de la langue française.
Quels sont aujourd’hui les grands auteurs de ces francophonies dans le théâtre ?
Il y a Mohamed Wajdi, dont tout le monde parle. Il y a le Congolais Dieudonné Niangouna, qui est d’une nouvelle génération. Il y a Larry Tremblay, au Québec. Il y a l’Algérien Mohamed Kacimi. Il faut parler aussi de la Sénégalaise Penda Diouf, dont la pièce La Grande Ourse a été présentée aux Zébrures d’Automne en 2024. Il faudrait citer également Daniely Francisque, qui est martiniquaise. Sans oublier Guy Régis Jr et Gaëlle Bien-Aimé, de Haïti. Je pourrai en citer beaucoup
plus. Il ne faut pas oublier les anciens auteurs, comme les Congolais Sony Labou Tansi, Caya Makhélé, Tchicaya U Tam’si, l’Ivoirien Koffi Kwahulé, la Camerounaise Werewere-Liking et le Québécois Robert Lepage.
L’Afrique se taille une bonne part dans ces francophonies. Pourquoi ?
C’est normal. L’Afrique subsaharienne se taille déjà une bonne part au niveau démographique. La ville la plus francophone du monde, en dehors de la France,
c’est Kinshasa.
Comment les artistes et les metteurs en scène en provenance du Burkina Faso, du Mali ou du Niger peuvent-ils se déplacer aujourd’Kui avec toutes les difficultés qui existent pour obtenir des visas ?
Les problèmes actuels de la France avec le Burkina Faso, le Niger et le Mali ne sont que des arbres qui cachent la forêt. Nous avons toujours eu des problèmes de visas. Il n’y a pas de consulat au Burkina mais nous arrivons à faire venir les artistes. Quand on se bat avec la conviction du juste droit, on arrive toujours à trouver une solution. Je me bats pareillement pour les Camerounais, pour les Congolais ou pour les Togolais. Dernièrement, j’ai eu plus de problèmes à faire venir des Ivoiriens que des Burkinabés, des Maliens ou des Nigériens. Le problème des visas ne date pas d’aujourd’hui. Il est vrai qu’il est plus grave qu’avant et cela est devenu l’un de nos soucis majeurs. Nous négocions en permanence avec le ministère des Affaires étrangères et avec le ministère de la Culture. Et même avec leurs aides, nous rencontrons beaucoup de difficultés pour obtenir les visas. C’est presque devenu notre cœur de métier, cette question de visa. Nous nous battons pour la liberté de circulation des œuvres et du patrimoine intellectuel, mais nous devons aussi nous battre pour la liberté de circulation des artistes. Mais ce n’est pas facile et, indirectement, cela oblige les responsables des festivals à être sélectifs dans leurs programmations. Cela pose donc le problème de la liberté de programmation.
Actuellement, non. Je remercie mes tutelles et je touche du bois pour que la situation ne change pas. Nous en venons à remercier de ne pas avoir de diminution des budgets. Et nous ne parlons évidemment plus d’éventuelles augmentations. Les festivals se portent bien. Nous avons de plus en plus de projets, nous arrivons
à accompagner toujours un peu plus les créateurs francophones, notamment ceux du Sud. Et la qualité des projets artistiques va croissant. Nous arrivons aussi
à accompagner la jeunesse des pays francophones en augmentant les compétences dans plusieurs secteurs. Ici, à Limoges, nous faisons beaucoup de conseils de formation et d’accompagnement.
Les spectacles créés à Limoges circulent-ils ensuite en France et dans les pays francophones ?
Aujourd’hui, la diffusion des spectacles pose un sérieux problème. Avec le concept des festivals Zébrures, nous arrivons à bien accompagner les projets en nous en
occupant pendant plusieurs années. Désormais, les spectacles tournent un peu mieux en Afrique et ailleurs. Grâce à toutes les relations que j’ai tissées au fil de mon parcours d’artiste et d’organisateur de festivals, de plus en plus de nos spectacles circulent. Rien qu’en 2024, quatre de nos spectacles sont partis en Amérique latine et aux États-Unis.
Vous restez metteur en scène en plus de vos responsabilités de programmateur. Quels sont les messages que doit apporter le Théâtre dans ce monde en crise ?
Pour moi, il y a dans notre monde les dominés et les dominants. La sagesse, la bêtise, l’amour, la méchanceté, la gentillesse sont les choses les plus partagées au
monde. Le théâtre doit en parler. Il faut profiter des différents miroirs que les créations théâtrales proposent pour nous mirer dedans. Et il ne faut pas avoir peur des images qui nous sont renvoyées.
