Benjamin Ferré
Le 10 novembre à 13 h 02, Benjamin Ferré prendra le départ de la course à la voile la plus prestigieuse au monde, le Vendée Globe, à bord de son bateau Monnoyeur - Duo for a Job. Parrainé par Jean Le Cam, le navigateur malouin de 33 ans se prépare depuis des mois à ce tour du monde d’exception, véritable défi sportif et humain. PROPOS RECUEILLIS PAR JUSTINE CHARLET
Je crois que chacun part avec ses forces et ses faiblesses. Être le plus jeune – et, en plus, je m’appelle Benjamin ! [Il rit] – me met dans la situation où je ne sais pas ce qui m’attend. Donc je suis peut-être celui qui va s’élancer dans la course avec le moins de peur.
Vous pratiquiez la voile enfant déjà ?
Pas du tout ! Je ne viens pas du sérail de la course au large. Étant malouin, j’avais quand même une appétence pour la mer et mes parents possédaient un petit zodiac qui nous permettait d’aller voir des départs de courses. En vacances, nous allions au bord de la mer et j’ai dû faire un stage d’Optimist comme beaucoup d’enfants, mais pas plus. Par la suite, je n’ai pas fait de bateau pendant très longtemps. C’est au fil de mes aventures que le bateau a pris de plus en plus de place.
Et vos débuts d’aventurier, ce n’était pas en bateau, mais à pied…
En 2012, j’ai parcouru, en effet, 40 000 kilomètres en stop. Avec une expérience marquante en bateaustop pour aller en Antarctique. C’était à Ushuaïa, en
Argentine, j’avais proposé mes services pour faire la vaisselle, le ménage et le rangement sur un bateau mythique qui s’appelle L’Esprit d’équipe. La première
fois que j’ai vraiment découvert le large, c’était en 2015 : avec deux copains, nous avons monté le défi de traverser l’Atlantique sans GPS, uniquement au sextant. L’objectif était de rallier les Antilles au départ de Saint-Malo, en se dirigeant seulement grâce aux étoiles.
Avez-vous réussi ?
Je n’avais aucune expérience de la navigation et la traversée s’est révélée pleine de péripéties. Nous devions mettre trois semaines et nous avons finalement mis
trois mois et demi en raison de nombreuses avaries et du besoin de ravitaillement, faute de nourriture suffisante. Nous nous sommes aussi perdus, mais c’est à ce moment-là que je suis tombé amoureux des sensations de mer. C’est à partir de là que j’ai rêvé de repartir un jour tout seul. À la suite de cette aventure, j’ai rencontré Clarisse Crémer [qui a participé au Vendée Globe en 2020, NDLR], une navigatrice qui avait fait la Mini Transat, une course au large en solitaire, une traversée de l’Atlantique en deux étapes sur de tout petits bateaux de 6,50 mètres, sans routage météo par satellite ni aucun contact avec la terre. Elle m’a parlé de cette course et je l’ai faite en 2019. Je suis arrivé troisième. Cela m’a vraiment mis le pied à l’étrier dans le monde de la course au large.
La traversée au sextant, c’était déjà une formation accélérée de la haute mer, mais j’ai ensuite rejoint le centre d’entraînement de Lorient. Mon coach, Tanguy Leglatin, m’a préparé pendant deux ans. J’ai appris tous les aspects de la course au large : la météo, le sommeil, la stratégie, les réglages, l’électronique à bord, l’alimentation, etc. Et je suis tombé amoureux. J’avais l’impression que tout ce que j’aimais dans la vie se trouvait à cet endroit-là : à la fois l’entrepreneuriat dans le projet, mais aussi le côté humain, car nous étions 80 à préparer cette course, de tous les âges et de toutes les catégories socioprofessionnelles. J’ai compris la solidarité des gens de la mer. Nous étions une espèce de grande colonie de vacances, de grande famille, rassemblée durant deux ans autour d’un objectif : traverser l’Atlantique. Plus on est heureux, plus on va vite, et je me suis retrouvé très bien placé à l’arrivée de la Mini Transat alors que je venais de nulle part. Ma troisième place a tout accéléré : il y a eu une espèce de reconnaissance, notamment de Jean Le Cam, qui m’a susurré l’idée de faire le Vendée Globe.
Ainsi, c’est donc le navigateur Jean Le Cam qui vous a poussé à vous inscrire au Vendée Globe ?
Qu’est-ce que Jean Le Cam vous a apporté de plus ?
C’est immense : Jean m’a apporté une façon de naviguer, un bon sens paysan en mer, qui se perd un peu aujourd’hui. C’est-à-dire une espèce de légèreté en mer
et de façon de naviguer très simple. Et au-delà de ce qu’il m’a appris sur l’eau, il m’a aussi beaucoup appris à terre, comme le sens aigu de la loyauté, de la fidélité. Et il m’a donné aussi le meilleur conseil : celui de « rester moimême ». Bref, le fait d’être biberonné par Jean Le Cam pendant quelques mois, c’est un ancrage au sol très important. À mes débuts en Imoca, ce bateau de 18 mètres avec lequel nous préparons le Vendée Globe, j’ai fini quatrième lors de ma première course. J’étais dans un état de grâce, une euphorie, et tout le monde était très enthousiaste. Sauf Jean, qui était le seul à me dire d’aller retravailler mes virements de bord en me rappelant que mon objectif, c’était le Vendée Globe.
Comment vous définissez-vous en tant que navigateur ?
Les quatre mots qui caractérisent mon projet sont : fun, humilité, apprentissage et performance. Jean m’a conseillé de me poser la question de savoir si, à chaque
décision que je prends, elle est en adéquation avec les caractéristiques de mon projet. L’idée est de faire les choses sérieusement sans se prendre trop au sérieux.
Car, même si le Vendée Globe est une aventure extraordinaire, nous ne sauvons pas des vies non plus.
Comment vous préparez-vous à ce grand défi ?
Il y a une grosse préparation physique puisqu’il faut aider son corps à tenir pendant trois mois. Et surtout une grosse préparation mentale, le facteur limitant étant le cerveau ! C’est le mental qui lâche toujours le premier : il faut travailler sur la raison pour laquelle on se lance dans une telle course. Et intégrer combien cela va
être dur et pénible, avec toutes les éventualités possibles et la longueur de la course. La plus grosse difficulté, c’est de ne pas savoir combien de temps elle va durer.
En quoi consiste l’entraînement physique ?
Il y a trois aspects que l’on travaille beaucoup. D’abord la force physique avec du renforcement musculaire, parce que l’on transporte des voiles qui font parfois 100 kilos. Le cardio est tout aussi important, car nos manœuvres peuvent être assez longues. Enfin, il y a la proprioception, c’est-à-dire être capable de garder une certaine lucidité, un certain équilibre dans l’effort. Cela représente un entraînement quotidien d’une à deux heures. J’ai une hygiène de vie qui correspond à tous ces exercices. Je fais un peu moins de soirées avec mes amis !
On parle souvent du sommeil haché des navigateurs. Comment réussir à aider son corps de ce côté-là ?
Il faut accumuler le maximum de sommeil, cela fonctionne vraiment comme une batterie. Mon objectif est de réussir à faire des nuits de 9 heures trois mois avant
le départ du Vendée Globe, avec une heure de sieste en plus, tous les après-midi. C’est un facteur clé du succès parce que c’est ce qui amène de la lucidité, de l’énergie, de la récupération. Tous les sportifs de haut niveau peuvent en témoigner.
Vous allez prendre le départ du Vendée Globe avec un projet mettre en lumière l’action de Duo Ior a Job. De quoi s’agit-il ?
C’est une association qui fait de la réinsertion de jeunes issus de l’immigration. Elle les met en contact avec des personnes de plus de 50 ans, expérimentées, du même secteur professionnel, afin que ces dernières les accompagnent dans leur recherche d’emploi. Mon engagement porte sur l’intergénérationnel et l’idée est de se servir du projet Vendée Globe pour porter ce message.
Le changement climatique a?ffecte l'atmosphère. Qu'en est-il de la mer: qu'observez-vous ?
Je n’ai pas assez vécu au large pour voir des transformations, mais j’entends que les phénomènes sont plus violents et plus rapides, donc la mer se transforme.
Les navigateurs sont les premiers témoins des changements et veulent préserver leur terrain de jeu. Je crois que le vrai sujet environnemental, c’est la préservation
des cétacés. On n’en parle pas beaucoup, c’est un nondit, mais il y a une réalité : la course est un jeu, mais il arrive qu’avec nos bateaux qui vont tellement vite, on percute des cétacés. Il faut absolument trouver un moyen d’éviter ça.
Pensez-vous déjà à l’après-Vendée Globe ?
Pas du tout ! Beaucoup de marins préparent la suite, mais moi je dis toujours que le meilleur viendra avec ce Vendée Globe. La seule chose que je sais, c’est que
le 10 novembre, je prends le départ de la course, mais après je ne sais rien.
Que peut-on vous souhaiter ?
De boucler la boucle ! Si j’arrive à faire le tour et à regagner Les Sables-d’Olonne, je serais très heureux.